[ALSACE - REUSS Rodolphe].
Manuscrit Autographe anonyme.
S.l.n.d. 5 pp. in-folio.
BROUILLON D’UN VIBRANT DISCOURS EN HOMMAGE À L’HISTORIEN ALSACIEN RODOLPHE REUSS.
Rodolphe Reuss (1841-1924) est un historien (notamment de l’Alsace) qui fut bibliothécaire de la Ville de Strasbourg, professeur au séminaire protestant, au Gymnase Jean-Sturm, et à Paris à l’École pratique des Hautes Études.
Après la défaite de 1870 et l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, Rodolphe Reuss s’attache à reconstituer une bibliothèque municipale (plusieurs centaines de milliers de livres avaient disparu dans l’incendie du 24 août 1870), dont il devient le conservateur de 1872 à 1896. Contraint par le régime allemand à la démission, il quitte l’Alsace et s’installe définitivement à Versailles où il meurt en 1924.
...L’Université de Strasbourg, en décernant à M. Rodolphe Reuss, le titre de professeur honoraire, l’a revendiqué comme l’un des siens. Nous nous sommes souvenus qu’il a été l’un des meilleurs étudiants de l’ancienne Faculté des Lettres, qu’il y a conquis avec distinction le grade de licencié en 1860-1861 en un temps où les licenciés de Strasbourg étaient rares. Nous avons voulu honorer avec le fils le père Édouard Reuss qui, pendant 36 ans, de 1834 à 1870, a enseigné (...) et a été à la gloire de l’école théologique de Strasbourg. (...) Enfin et surtout, nous avons voulu proclamer notre estime et notre admiration pour des travaux scientifiques consacrés surtout à l’histoire d’Alsace et poursuivis pendant plus de cinquante ans. En 1866, Rod. Reuss copiait à la bibliothèque du séminaire protestant le manuscrit encore inédit de la chronique allemande la plus développée du chanoine de Saint-Thomas Twinger de Koenigshoffen qui fut publiée plus tard, alors que le manuscrit avait été anéanti par les obus prussiens ; tout récemment, il nous donnait sa belle histoire de Strasbourg : et dans l’intervalle combien d’articles, de brochures, de livres sur l’histoire d’Alsace n’a-t-il pas écrits : à combien de revues savantes, de journaux n’a-t-il point collaboré (...) Il faudrait tout un volume pour dresser une bibliographie exacte et complète de ses œuvres. Du millier de numéros qu’en atteindrait la liste ressortiraient les deux tomes sur l’Alsace au XVIIIe siècle, travail vraiment monumental qui nous raconte, en une première période, l’Alsace mosaïque de seigneuries et de ville sous une vague suzeraineté de l’Empire germanique, dans une seconde Alsace retrouvant son unité sous l’unité de la France, son âme dans l’âme de la France...
...Mais pour donner à la présente cérémonie toute sa signification, pour en faire ressortir la véritable portée, je dois rappeler d’autres faits. Au lendemain de l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne, un problème angoissant se posa devant la conscience de tout Alsacien. Fallait-il demeurer au pays et devenir sujet allemand ou bien se rendre au-delà des Vosges pour échapper à un joug odieux et montrer l’indéfectible fidélité à la mère-patrie ? Ceux qui partirent firent bien, ceux qui restèrent firent mieux, puisqu’ils conservèrent l’Alsace aux Alsaciens, c’est-à-dire à la France. Rod. Reuss fut de ceux-ci. Il demeura dans son cher Strasbourg, près de son père, qui précisément [à] cette époque, commença son admirable traduction de la Bible en langue française ; il reconstitua la bibliothèque de la ville pour remplacer celle que le bombardement avait détruite : il continua son enseignement au Gymnase ; il fonda une famille qui fut bénie par la naissance d’une fille et de trois fils...
Après son triple deuil [Reuss perdit ses trois fils pendant la Grande Guerre dans la Marne], il ne changea rien à ses habitudes, se remit à sa table de travail et continua. Et dans son labeur, il fut soutenu par l’espoir que bientôt l’Alsace serait délivrée. La dixième édition de son Histoire d’Alsace parue en 1916 fut dédiée : « La mémoire de mes trois fils morts pour la patrie » et la préface se terminait par ces mots : « Pour la délivrance de la terre natale, objet de leurs plus ardents souhaits, mes trois fils, la fierté de ma vie, le bonheur de ma vieillesse, sont tombés aux Champs d’honneur. Ils n’auront pas eu la joie suprême de voir flotter le drapeau tricolore aux tours de notre vieille cathédrale ; mais j’ose au moins les associer à cet espoir qui adoucit ma douleur, en dédiant ces pages à leur mémoire vénérée ». Ce qui était alors un espoir est devenu une réalité le 11 novembre 1918...
Sa devise « Nulla dies sine linea » [« nul jour sans ligne »] empruntée à Pline l’Ancien montre à quel point il poussait sa volonté à montrer son attachement à l’Alsace française par de savantes publications sur la terre qu’il aimait.