JAURES (Charles), officier de marine, amiral, cousin de Jean Jaurès. 2 Lettres Autographes (E 10691)
Passionnantes correspondances dans lesquelles celui qui n’est encore que capitaine de vaisseau livre son analyse de la situation politique intérieure et extérieure de la France, quelques mois après l’instauration du Second Empire par Louis-Napoléon Bonaparte.
JAURES (Charles).
Né à Castres. 1808-1870.
Officier de marine. Amiral. Cousin de Jean Jaurès.
Il fut chargé de rapporter en France l’Obélisque offert par le Pacha d’Égypte.
2 L.A.S. « C. Jaurès » à « Mon cher ami » (destinataires différents).
Moka, 15 mars 1853, 8 pp. in-4 et Massouah [sic pour Massaoua], 15 mars 1853, 8 pp. in-4.
Passionnantes correspondances dans lesquelles celui qui n’est encore que capitaine de vaisseau livre à deux correspondants son analyse de la situation politique intérieure et extérieure de la France, quelques mois après l’instauration du Second Empire par Louis-Napoléon Bonaparte.
Moka :
Il le remercie des nouvelles reçues mais remarque ...Je suis content d'être loin pour le moment, j'aurais trop souffert, s'il m'avait fallu assister à cette transformation sociale... Il s’attend à retrouver Paris inchangé et ses amis ...probablement complètement ralliés au nouveau gouvernement... Il convient que les Orléans ...méritaient un meilleur sort, mais il faut toujours appuyer le pouvoir et empêcher à tout prix le socialisme de relever la tête. Personne en France n'est plus Orléaniste que moi. Eh bien je servirai très fidèlement notre nouvel Empereur. Il n'est pas légitimé à mes yeux par les huit millions de suffrage, mais bien par son énergie à détruire les socialistes... Certains de ses amis espèrent que le pays ...verra se reformer une aristocratie qui soutiendra le nouveau pouvoir. Et bien cher ami là est l'erreur. L'Empereur établi, il faudra unEmpire, il faudra faire la guerre, et comme toujours la France sera seule avec son Empereur, mais je crains bien que la France n'abandonne bientôt son Idole. Vraiment les choses marchent trop vite. [...] Son mariage est une folie, il pouvait le faire étant Président, mais une fois Empereur, il lui fallait une impératrice de sang royal. [...] Malheureusement chaque pouvoir porte avec lui des causes de destruction... ce qui l’amène à douter de la durée de ce régime. ...En voilà assez sur la Politique parlons un peu marine... Évoquant les nominations de plusieurs connaissances communes, il s’étonne que certains ne soient pas récompensés, ...Je suis bien loin de France, et pourtant je viens de faire décorer un de mes officiers qui servait admirablement. J'ai renvoyé Charlemagne [Charlemagne Théophile Lefebvre (1811-1860) officier de marine et explorateur], vous devez comprendre combien il m'en a couté de prendre cette détermination, mais Charlemagne ne veut pas bien servir [...] Ne parlez pas de cela dans notre société, il dira probablement qu'il a voulu revenir laissez le dire. [...] Nous sommes dans ce moment devant Moka, nous allons visiter successivement tous les ports de la mer rouge, et revenir à Bourbon au mois de Mai. Malheureusement je ne suis pas libre, j'ai à bord un amiral très brave homme [Adolphe Laguerre (1792-1862) Contre-Amiral, commandant en Chef la Division Navale de la Réunion et de l'Indochine], qui me laisse complètement faire, mais qui n'a pas sur toute chose les mêmes idées que moi. [...] Si j'étais seul à bord je serais déjà à Rasgoum [sic pour Rangoon] dans l'empire du Birman et j'arriverais au Japon en même temps que la division Américaine, mais pour faire ces campagnes il faut être jeune... remarque-t-il regrettant le manque d’initiative de son supérieur. ...Notre gouvernement devrait bien s'occuper un peu de la politique extérieure, nous avons Madagascar à coloniser et une ligne de paquebots à établir de Suez à Bourbon. Nous pourrions prendre une des iles qui sont à l'entrée de la mer rouge, et y former un entrepot de charbon. Les Anglais ont à Aden 2000 hommes de garnison, ils font là des fortifications comme à Gibraltar, c'est une folie, les Arabes sont en guerre avec eux [...]. Les Anglais ont éprouvé un échec assez considérable chez les Birmans [...]. C'est une consolation pour nous de penser qu'à la première guerre en Europe, ils peuvent perdre l'Inde. [...] Pourquoi a-t-on mis en liberté Abdel Kader, en supposant que le véritable Abd el Kader soit fidèle à sa promesse, chaque année il y aura à Alger un faux Abd-el-Kader, tout cela crispe affreusement. Quelques jours avant mon départ j'ai vu chez Ferdinand Lesseps l'ancien ministre à Madrid une demoiselle Montijo. C'est probablement notre Impératrice... Pour finir, il réclame des nouvelles et indique la voie la plus sûre et la plus rapide pour les lettres.
Massaoua :
Après l’avoir morigéné sur le manque de nouvelles, il remarque ...Je suis parfaitement du même avis que vous sur L.N. [Louis Napoléon] il a aujourd'hui obtenu un blanc-seing. [...] Seulement, je ne partage aucune de vos illusions. Vous croyez à la régénération de la société, [...] au retour de certaines idées qui seraient très bonnes [...], Croyez-moi [...], ce n'est pas au moment ou toutes les places sont en général occupées par des gens peu honorables, [...] ou sous des uniformes ridicules se cachent un tas de gens de rien, que l'on peut penser à faire des grandes choses, et surtout des choses durables. Ceux qui sont au pouvoir veulent jouir de la vie, ils savent que leur instrument, le suffrage universel est un instrument dangereux qui tôt ou tard les renversera. [...]. Le chef lui-même donne l'exemple, le mariage montijo a dû étonner tout le monde... Il ne doute pas que son annonce a dû être mal vue en France. ...Voulez-vous savoir mon opinion à trois mille lieues ; L.N. voulait avoir cette femme, il lui a donné la couronne de France comme on donne à d'autres un billet de 1000 f. [...]. Les nations étrangères regardent la France d'un œil étonné [...]. Je crois qu'après le 2 Xbre on aurait pu tenter l'expédition d'Angleterre, par un coup de vigeur [sic pour vigueur] et de promptitude comme celui-là, on n'avait pas besoin d'alliés ; mais on a tant parlé que les anglais ont pris leurs précautions ; et aujourd'hui ils ont une flotte formidable dans la Manche dont sept vaisseaux à vapeur... Résultat, ...on recherchera l'alliance anglaise le rétablissement de l'entente cordiale ; on fera un traité de commerce qui mettra la France dans la dépendance de l'Angleterre... qui ...va nous dire unissons-nous, l'Empire turc s'écroule, nous combattrons ensemble sur ses ruines contre la Russie. Là est l'intérêt du moment, on veut avoir l'Angleterre avec soi, puis occuper la Prusse et l'Autriche avec des échauffourées révolutionnaires qu'on leur suscitera et faire à la Russie en Orient une guerre lointaine qui donnerait de la gloire, occuperait l'attention, sans inquiéter les boursicoteurs ni ébranler trop profondément l'édifice, mais je le répète il faut avoir l'Angleterre avec soi. [...] Politiquement ce sera le commencement de nos désastres.... Quant à la Marine, ...Comme vous je ne crois pas à son avenir en temps de paix ; [...] vous n'aurez une marine qu'après une guerre maritime [...]. Notre politique étrangère est tellement triste que vraiment on souffre très souvent par amour propre national. Je viens de passer deux mois dans la mer rouge, partout nous avons trouvé les Anglais parfaitement bien établis, protégeant efficacement, leurs nationaux et leur commerce, et nous au contraire honnis par tous ces petits pachas, et nos négociants dépouillés. [...] Nous quittons la mer rouge pour retourner à Bourbon, et attendre les instructions du gouvernement au sujet de Madagascar. [...] Mon amiral rêve une expédition de 5 ou 6 mille hommes, je crois que ce serait une folie, il ne faut pas se créer une nouvelle Algérie à 3000 lieues de France. Si vous voulez occuper Madagascar, il faut s'établir sur le littoral de la côte Ouest qui est très sain, entretenir habilement la mésintelligence parmi les différentes tribus et les laisser guerroyer entre elles. [...] Ainsi en très peu de temps on serait parfaitement bien établi sur cette Ile, et tout son commerce serait entre nos mains. C'est ainsi que font les anglais et les hollandais aussi ont-ils de belles colonies...