EXTRAORDINAIRE LETTRE AU COMÉDIEN PIERRE BRASSEUR
Après l’immense succès de sa pièce Les Épiphanies « mystère profane », montée en 1947 à Paris avec Gérard Philipe, Maria Casarès et Roger Blin, Henri Pichette prépare un nouveau projet théâtral.
PICHETTE (Harry Paul, dit Henri).
Né à Châteauroux. 1924-2000.
Poète et auteur dramatique.
L.A.S. « Henri Pichette » à « Cher Pierre Brasseur ».
Cargèse, 28 juillet 1948. 6 pages grand in-4, à l'encre rouge sur papier ligné. Ratures et coupures.
Joint : placards (4 pp. in-8), incipit des Apoèmes.
Superbe lettre au comédien Pierre Brasseur sur le théâtre et antonin Artaud :
Après l’immense succès de sa pièce Les Épiphanies « mystère profane », montée en 1947 à Paris avec Gérard Philipe, Maria Casarès et Roger Blin, Henri Pichette prépare un nouveau projet théâtral :
...Quelques mots, dont vous m’excuserez (...). Je suis, avec femme coutumière et fille poupéiforme, parti pour la Corse en effet. Un mois, quoiqu’élastique, et il refaudra se suicider dans les raps parisiens. ICI, bref, ciel et mer sont de grands mariés. Quant à moi, de noce, forcément je tends à me battre. Car on sent, par le nez marin, que si on ne met pas les pieds dans le plat des 5 continents rien n’ira se raccrochant ; et, au mieux, nous ne vivrons plus qu’à la petite langouste. OR une
LANGOUSTE
est une leçon de
THEÂTRE.
Les décors sont nets ; la grâce, claire ; le parfum, sublime et simple ; tout est en pics, en pointes, prêt à recevoir la parole qui doit tuer d’abord et ensuite briller, dans la nuit du cerveau. Je dis, moi, que personne, actuellement, ni même Artaud, ne fait du théâtre ou le suscite. Personne : (...) parce que Artaud a vu pour lui seul ce qu’il eût fallu voir avec mille paire(s) d’yeux au moins. Pour être 1000 il faut être fou, or Artaud n’était pas fou. Un fou, c’est différent.
Molière demeure théâtral, quoi qu’en disent les sots.
Mais, travailler à une pièce de théâtre c’est, désormais, penser au plus grand nombre de problèmes consécutifs et conséquents possible. Dedans théâtre dehors sera mon manifeste. – Toute vie doit prendre son pied, puis couler à la mort où l’homme est meilleur qu’un lustre illuminé.
J’en ai donc pour deux ou trois ans. Mais je puis, en ami, vous promettre mieux qu’un chef-d’œuvre de réalités nourri (...). Ça, à cause de Paris qui se trompe de lampes, et à cause du théâtre qui cherche à être compréhensible. Les gens ne se comprennent pas davantage. Je construis autant que Molière, que Shakespeare. Qui sont des aigles sages comme des moineaux. (...) Je vous envoie la mer affamée de spectateurs : ce sont les algues tendres mais si batailleuses...
« Vous aviez le visage que j'attendais : celui d'un jeune barbare sonore bien acquis à réveiller le bruit lui-même », lui écrivait Max-Pol Fouchet en 1948, peu de temps après la création des Épiphanies, ce détonnant « mystère profane » qui a marqué la poésie française de la deuxième moitié du siècle. L'œuvre d'Henri Pichette avait été créée par Georges Vitaly au Théâtre des Noctambules en décembre 1947 avec sur scène Gérard Philipe, Roger Blin et Maria Casarès. Le poème dramatique est divisé en cinq chapitres : « La Genèse », « L'Amour », « La Guerre », « Le Délire », « L'Accomplissement ». À ce défi poétique Pichette avait donné une langue somptueuse et baroque.
Fils d’un Canadien et d’une française d’origine méridionale, Harry Paul Pichette connait une enfance troublée. Il traverse la guerre en zazou puis en combattant [il participe à la libération de Marseille en 1944] et compose ses premiers poèmes vers 1942. Surgissent très vite les deux axes fondamentaux de sa poésie, le déchirement et la révolte, qui, dès 1947, le lient à Antonin Artaud. Cette même année, la première pièce de cet auteur de vingt-trois ans est jouée au théâtre des Noctambules à Paris : Les Épiphanies, mystère profane, dans une mise en scène de Georges Vitaly, servie par Gérard Philipe, Maria Casarès et Roger Blin. Le succès de Henri Pichette est alors immense. Lecteur de talent, à la même époque Pichette enregistre sur disque aussi bien Rimbaud que Teilhard de Chardin. Il prend une part active à l’aventure du T.N.P. qui lui commande en 1952 Nucléa. La pièce est un échec.
A Gérard Philippe qui fut son interprète, son metteur en scène (Nucléa) mais aussi son ami, il consacre un livre, Tombeau de Gérard Philipe.