ORMESSON Wladimir Lefèvre d'. Diplomate, écrivain, journaliste. Président de l'ORTF. 2 lettres autographes à Grasset (1930)
Très intéressante correspondance au sujet de la parution du livre de Friedrich Sieburg « Dieu est-il français ? », traduit de l’allemand par Maurice Betz, préfacé d'une Lettre de Bernard Grasset à Friedrich Sieburg, paru chez Grasset (1930).
D'Ormesson évoque dans ces deux lettres certains ouvrages des intellectuels allemands Ernst R. Curtius, Arnold Bergstraesser ou encore Oswald Spengler, sur les relations franco-allemandes et la vision de la France d’après-guerre.
ORMESSON (Wladimir Lefèvre d’).
Né à Saint-Pétersbourg (Russie). 1888-1973.
Diplomate français, écrivain et journaliste.
Président de l’ORTF. Membre de l’Académie française.
2 L.A.S. « Wladimir d’Ormesson » et « W. d’Ormesson » à « Mon cher ami » [l’éditeur Bernard Grasset].
S.l.n.d. [1930]. 4 pages in-4 au total, sur papier à lettres.
- 16 novembre : D’Ormesson le remercie ...des bonnes feuilles de la traduction du livre de Sieburg (...). Il y a près d’un an que je connais cet ouvrage, quand il a paru en allemand. Sieburg, que je connais fort bien, me l’a naturellement offert. Je l’avais d’ailleurs vivement conseillé de le faire traduire (...). Ce qui me surprend un peu, c’est la traduction que vous avez donnée du titre et qui ne répond pas tout à fait au vieux dicton allemand (lequel s’appliquait, non à la joie de vivre française, mais à la situation privilégiée du Clergé dans la France du XVIIe s.).
Connaissez vous le titre que Curtius et Bergstraesser ont recemment écrit, eux aussi, sur la France ? Il mériterait une traduction, car il est beaucoup plus significatif que celui de Sieburg (...). Beaucoup de gens me pressent de réunir les diverses études que j’ai fait paraître au cours de l’été dans la Revue de Paris, la Revue de France, le Correspondant et Politique sur les questions franco-allemandes, problème de l’est, etc.
Je compte faire précéder ces diverses études – qui forment un tout et se tiennent – d’une longue introduction que je suis en train d’écrire et qui fera le « point » de la situation européenne et franco-allemande. J’y discute – objectivement – les questions brûlantes : désarmement, révision des traités, etc. Je voudrais donner à ce volume, comme titre, la phrase-levier de Foch : « De quoi s’agit-il ? » - C’est, hélas, celle qui manque le plus dans la discussion et dans le chaos actuel où l’on se perd et où l’on piétine dans des abstractions juridiques, historiques et psychologiques.
Dites moi si la publication d’un tel livre vous intéresserait ?...
- 19 novembre : ...Non, le livre de Curtius auquel j’ai fait allusion n’est pas celui que vous connaissez déjà. Il s’agit de deux volumes, tout recemment parus et dus à la collaboration de Curtius et de Bergstraesser (Professeur à Heidelberg) sur la France.
C’est une étude consciencieuse, (...) extrêmement révélatrice de la vision « française » d’Allemands intellectuels, intelligents et d’ailleurs bien intentionnés. J’ai lu avec grand plaisir et grand intérêt votre « lettre » à Sieburg qui est excellente. Votre thèse m’a d’autant plus plu que dans une étude que j’ai publiée il y a déjà 4 ans dans la Revue de Paris, sous le titre « Position, de la France en Europe » j’avais développé tout à fait la même idée et mis en relief l’antagonisme Culture-Civilisation, déjà indiqué par Nietzsche et repris par Spengler dans son fameux livre [probablement « Le Déclin de l’Occident » d’Oswald Spengler]. – Seulement le débat est insoluble si on ne veut pas conclure que les deux tendances sont indispensables et composent l’humanisme parfait – au lieu de le diviser dans la mort !...
Peu d'écrivains allemands furent aussi célébrés que Friedrich Sieburg par la France de l'entre-deux-guerres. Sa renommée éclata à l'automne 1930 lorsque Bernard Grasset lança avec fracas l'essai intitulé Dieu est-il français ? Friedrich Sieburg venait de résider à Paris pendant quatre ans comme correspondant de la Frankfurter Zeitung, le premier quotidien allemand. Il en tirait la conclusion dans ces pages qui décrivaient la France " pays insupportable et magnifique ", patrie du bonheur de vivre. Il fallait aimer la France telle qu'elle se présentait, disait Friedrich Sieburg, et le titre original de son livre exprimait mieux ce sentiment. Il avait écrit Gott im Frankreich, c'est-à-dire Dieu en France, une locution allemande qui équivalait à « vivre comme un coq en pâte ». En donnant au titre une forme interrogative, Bernard Grasset transformait tout le sens de l'ouvrage et lui conférait des dimensions psychologiques qu'Emmanuel Berl pour sa part ne rencontrait pas dans cet essai auquel il trouvait " un air de frivolité qui vraiment déconcerte en ces temps difficiles ", Berl avait raison, et d'autres écrivains allemands, Ernst-Robert Curtius, Paul Distelbarth, composaient sur la France des diagnostics plus profonds, discernaient mieux l'essentiel.