HARAUCOURT (Edmond).
Né à Bourmont (Haute-Marne). 1856-1941. Poète (il fit partie du club des Hydropathes), journaliste et dramaturge.
Président de la Société des Gens de Lettres (1920). M.A.S. « Edmond Haraucourt » intitulé « Le Tréteau ». S.l.n.d. 4 pp. in-folio.
Haraucourt porte, dans cet article, un regard lucide sur le choix et le rôle des comédiens au théâtre :
À la suite de nombreux procès …destinés à trancher des différends survenus entre les directeurs de théâtre et leurs pensionnaires au sujet de rôles imposés à ceux-ci par ceux-là…, Haraucourt ironise : …un artiste doit-il être admis à considérer que tel ou tel rôle n’est point de son emploi ? La soubrette peut-elle prétendre qu’un rôle de duègne ne correspond pas à son tempérament, le jeune premier refuser un rôle de grime, le tragédien un rôle comique ? (…) Qu’il est donc difficile pour les hommes de s’entendre, même quand leurs intérêts sont connexes, et par cela seul qu’ils vivent et travaillent ensemble ! La question est pourtant bien simple. Exiger que tout comédien joue n’importe quel rôle, c’est évidemment exiger qu’il soit un grand comédien…
Si le directeur insiste, il court le risque que …son pensionnaire occupe le rôle, mais non qu’il le remplisse, et tout le monde en pâtira… Mais est-ce aux tribunaux de trancher et de …poser en principe que nul ne pourra être contraint de jouer un rôle qu’il considère comme étranger à ses moyens ? Ce serait un autre péril…
…Mais, direz-vous, cette question mérite-t-elle qu’on s’y attarde et qu’on en parle ?... Sans doute …puisqu’aujourd’hui, comme à l’époque des Césars, le double cri des foules est redevenu ce qu’il était autour du Colysée : panem et circenses *! Revendication matérielle : le droit au pain ; revendication spirituelle : le droit au théâtre. (…) La parole qui ne descend pas d’un tréteau n’a pas de chance d’être entendue, et la France attentive possède deux estrades du haut desquelles on lui jette quotidiennement sa pâture de verbe : la Chambre [des députés] et le théâtre…
Il termine son article sur une anecdote : l’autre soir, dit-il, au théâtre, on donnait deux pièces : l’une en vers, bête et insipide, l’autre, en prose, excellente ; cependant, les vers de la première : …tombaient du tréteau et la foule écoutait avec ravissement ces douces inepties, elle s’en délectait ou tout au moins faisait mine de s’en délecter pour ne pas avoir l’air d’être fermée aux belles choses : Délicieux, Exquis ! Adorable, D’une fraîcheur ! D’une jeunesse !... Et la presse, d’en parler …en bien ou en mal, peu importe, car le bien et le mal sont indistinctement monnaies de gloire : les publicistes, qui considéraient comme une faveur inappréciable d’accorder cinq lignes banales à ces mêmes vers publiés en volume, les discuteront, pèseront, analyseront parce qu’on les leur présente sur le tréteau…Tout autre fut le sort de la pièce en prose …La salle écoutait, avec méfiance, et se tenait sur la réserve, incertaine de savoir si elle applaudirait le moraliste ou si elle huerait le trouble fête… L’heure se faisait angoissante, et l’âme électrique des foules se tendait dans l’expectative de son propre jugement. Un détail décida du sort. À la minute précise où le drame, monté à son point culminant, s’élançait pour planer à des hauteurs tragiques, la voix d’une cabotine jaillit : le cri eschylien sortit d’une poupée… scellant d’une manière irréversible l’échec de la pièce.
Edmond Haraucourt débute sa carrière littéraire, sous le pseudonyme de Sire de Chambley, par la publication d’un recueil très libre intitulé La Légende des sexes, poèmes hystériques et profanes (1882). Conservateur du musée du Trocadéro de 1894 à 1903 et du musée de Cluny de 1903 à 1925, il fut aussi président de la Société des gens de lettres de 1920 à 1922.