GOUNOD Charles, à Jules Richomme, 23 mars 1866 (Réf. G 4826)

« La grande rumeur de Paris en ce moment, c’est l’abbé Liszt » 

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G 4826
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GOUNOD (Charles). Né à Paris. 1818-1893. Compositeur français. Grand Prix de Rome en 1839. Auteur de « Faust » un de ses plus célèbres opéras.

L.A. à « Cher petit ami » [le peintre Jules Richomme]. Paris, 23 mars 1866. 4 pp. grand in-8 (lettre incomplète).      

Réf. G 4826

 

Extraordinaire lettre à l’ami de toujours le peintre richomme que Gounod considérait comme son frère, au sujet d’œuvres musicales, notamment de son opéra-comique la Colombe, et d’une messe de Liszt donnée en l’église Saint-Eustache à Paris

Pendant que, retenu sur la colline peu champêtre de la Rue La Rochefoucault, je mène la vie plate et bourgeoise d’un citoyen inoffensif et d’un auteur qui fait plus ou moins répéter les 2 actes de sa Colombe, toi, tu nages en pleine antiquité, et tu respires, à larges poumons, l’air, le ciel, le sol et l’histoire de cette vaste et inépuisable Italie. Te voilà, enfin, devant ces dalles de la vieille voie sacrée que cinq ou six mètres au plus séparent du piétinement moderne : te voilà dévorant des pas et des yeux cette ville vraiment éternelle où le christianisme se promène, silencieux et grave, sur la cendre de ses premiers martyrs et de ses premiers bourreaux (...). Partout enfin, que de profondes et mélancoliques impressions ! et quelle sérénité douce et sévère sont ensemble ! (...) On sent, tout autour de soi, je ne sais quoi de majestueux et de calme dont le contact est indicible et le souvenir ineffaçable...

Jules Massenet vient d’interrompre ma lettre : il sort d’ici. Je lui ai dit que je t’écrivais ; il me charge de son souvenir pour toi. Il m’apprend que Leuven vient de lui confier un acte d’Adenis...

Quant à ce qui me concerne, cher enfant, je n’ai rien de bien nouveau à t’apprendre. Cette pauvre Colombe, dont je te parlais en commençant, doit composer un spectacle avec deux actes de Flotow que l’on répète en même tems que les deux miens (...). Roméo se repose par suite de ces graves circonstances ; dès que La Colombe se sera envolée vers le public, moi je m’envolerai à St Cloud pour en finir avec Juliette : après quoi, Dieu seul sait ce que je ferai ; car, 1° J’ai rendu à Legouvé les Contes de la Reine de Navarre : 2° J’ai résilié un projet avec Meilhac et L. Halévy : 3° J’ai renoncé à un grand drame que j’avais chez moi depuis un an. Bref, après Roméo, je quitte le théâtre et lui dis m........ ou « Ite missa est ! » Voilà !...

Mais, je compte bien n’en travailler que plus et mieux, si Dieu me prête vie.

À propos de théâtre, l’art vient de faire une perte douloureuse : Clapisson n’est plus : il a succombé avant-hier, ce qui fait à l’Institut un vide inopiné dont on va s’occuper d’ici à peu. Nous allons recommencer nos visites : peut-être y en a-t-il eu déjà quelques unes de faites à l’enterrement auquel je me suis fait un devoir de ne pas assister.

La grande rumeur de Paris en ce moment, c’est l’abbé Liszt. J’ai assisté il y a une huitaine de jours à l’exécution de sa messe à orchestre, dans l’église de St Eustache : j’étais à côté de Berlioz dans une stalle du chœur, et l’abbé était derrière nous. J’avais devant moi une quarantaine de petites filles des écoles qui se tiraient tant mal que pis d’une responsabilité vocale souvent très lourde pour elles : j’avais, en outre, dans l’oreille droite, des bassons, clarinettes, flûtes, cors, trompettes, tubas et trombones dont le trop proche voisinage détruisait pour moi l’équilibre de la sonorité générale, de façon que je n’ai pu nullement me rendre compte de la valeur purement musicale de l’œuvre. Cela m’a semblé curieux ; haché, indépendant parfois jusqu’à l’anarchie, souvent heurté de modulations, presque toujours décousu ; il semble que l’auteur ait, par-dessus tout, la crainte de la logique et l’horreur de la tonalité : c’est impatientant (sic) de recherche et de malice. À côté de tout cela on trouve des touches saisissantes, et qui le sont d’autant plus que ce qu’elles ont de plus clair que le reste bénéficie de la confusion environnante : à chaque instant on croit voir peindre (poindre) une phrase mélodique...

 

En 1861, Franz Liszt se retirait à Rome et entrait dans les ordres donnant à sa vie et à son œuvre une tournure mystique. L'oratorio Christus (achevé en 1866) et la messe Missa choralis (1865) ont été écrits en même temps. Liszt compose quatre messes pour chœur et orchestre. Le compositeur Vincent d’Indy confirmera plus tard en rapportant des propose de Liszt, ce que Gounod pressent déjà dans cette lettre : à savoir que Liszt aspirait à vouloir la « suppression de la tonalité ».

 

Berlioz, Franck et Liszt ont en commun avec Gounod un même maître : Reicha, qui donna pendant un an des leçons à Gounod avant son entrée au Conservatoire sous la direction de Chérubini. Liszt fera plusieurs transcriptions pour piano d'extraits d'opéras de Gounod : la berceuse de la Reine de Saba, les adieux de Roméo et Juliette, et surtout la valse de Faust qu'il interprétera sur le piano de Gounod à l'occasion du mariage de sa fille Jeanne.

 

La Colombe est un opéra-comique en deux actes de Charles Gounod, sur un livret en français de Jules Barbier et Michel Carré, d'après la fable Le Faucon de Jean de La Fontaine.

Il est créé dans une version en un acte le 3 août 1860 au Théâtre municipal de Baden-Baden, où ont été données quatre représentations. L'œuvre a été montée par l'Opéra-Comique le 7 juin 1866 à la Salle Favart (Paris) dans une version en deux actes contenant des pages supplémentaires écrites par Gounod.

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